Méditation de Vendredi-Saint

Cédric Némitz, pasteur – église du Pasquart, Bienne, 29 mars 2024

Évangile selon Marc 14, 51-52

« Tous les disciples abandonnent Jésus et ils partent en courant. Un jeune homme suit Jésus. Il est couvert seulement d’un drap. On l’arrête, mais il laisse le drap et il part en courant, tout nu. »

Il part en courant, tout nu.

Qui est ce jeune homme ? Qui est ce disciple inconnu ?

Tous les autres se sont enfuis. Et lui, en dernier, a failli être pris. Paniqué, il abandonne le seul bout de tissu qui l’habille pour s’échapper. In extremis.

Pourquoi est-il là, si peu vêtu ? Au printemps, à Jérusalem, les nuits sont très fraîches…

Étrange, étrange épisode. Raconté en deux petits versets par Marc. Zappé par les trois autres évangiles.

Étrange et pas très réaliste.

Qui est cet homme qui s’enfuit nu ? Qu’a-t-il à nous dire, là, au seuil du récit de la passion. Dépouillé, isolé, vulnérable : quel est le message de cet homme en costume d’Adam.

Tiens, Adam : et s’il y avait un fil à tirer, tout au travers de l’histoire du salut, avec Adam. Un homme nu, évidemment, cela nous fait penser à la nudité des 1er humains. Adam et Êve étaient nus… eux aussi.

Un fil à tirer entre ces deux individus, entre ces deux situations. Comme si l’histoire de l’humanité commençait par une nudité. Et que la nudité du jeune disciple lui faisait écho à l’autre bout de l’histoire.

Adam et Êve mangent le fruit, éprouvent de la honte et cachent leur intimité d’un pagne de feuilles de figuier. Un pagne que le jeune homme perd, cette nuit-là, au moment de l’arrestation de Jésus. En écho.

Comme un retour à la case départ. Comme pour établir un lien entre un drame du début et le drame qui se dessine. Comme pour dire que la boucle va se boucler.

Quelque chose va se dénouer, se désemmêler, se détricoter. Quelque chose s’est tissé au tout début, qui va se déchirer dans les heures qui viennent.

Les masques vont tomber. Les faux-semblants vont s’effondrer. La vérité va apparaître… toute nue.

Jésus est arrêté. Il est dépouillé, humilié. On tire au sort son manteau. Et on le conduit au supplice… nu.

On le sait : historiquement les crucifiés étaient laissés nus dans leur agonie. Le jeune homme est nu, Jésus lui aussi finit nu.

Et nous alors ? Nous qui sommes les témoins de ce drame ? Est-ce que nous aussi nous serions mis à nu ?

Est-ce que nous aussi nous sommes conduits au dépouillement, dépouillement de ce qui nous encombre, de tout ce qui nous déguise, de tout ce qui nous dissimule ?

Le jeune homme est nu. Jésus est nu. Et nos cœurs… aussi sont mis à nu.

Dans cet abandon, dans ce dépouillement, se pose alors la question, peut-être la seule question qui vaille : où est Dieu ?

Est-il loin ? Est-il proche ? Où est Dieu ?

Il y a un fil à tirer, oui, entre la nudité de Jésus et celle d’Adam. Les premiers humains vivaient si proches de Dieu qu’ils pouvaient apparaître entièrement et pleinement tels qu’ils et elles sont.

Jésus dans son abandon peut-il lui aussi sen sentir proche de Dieu ? Certains en doutent. L’évangile le croit : Dieu est présent dans la détresse de Jésus

Mieux ! Il est Dieu, qui s’abandonne lui-même pour que nous puissions apparaître, pour que nous puissions être tels que nous sommes vraiment. Oui, en Jésus, Dieu est nu.

C’est l’histoire d’une mise en abîme, d’une mise à nu qui nous permet de retisser le lien avec Dieu qui nous rejoint, jusque dans nos abîmes, jusque dans notre plus simple appareil. Une mise en abîme qui nous permet finalement de retisser le lien avec nous-mêmes… tels que nous sommes, en toute vérité.

Le jeune homme est nu. Jésus est nu. Nous sommes nus. Dieu est nu.

Tout est dit. Le voile du temple se déchire du haut en bas.

Ce bout de tissu qu’a laissé tomber le jeune homme est un bout de drap. Syndonia, dans le texte grec. Syndonia : c’est aussi le nom du drap qui enveloppera le corps du Christ après sa mort.

La boucle est bouclée. Et l’histoire repart sur un nouveau tissage. Sur de nouveaux liens qui s’établissent entre Dieu et nous. Sur de nouveaux liens qui s’entrelacent entre nous.

Notre nudité se recouvre d’un nouveau vêtement, plus simple, plus léger, plus beau à porter. Quelque chose qui nous correspond, vraiment. Quelque chose qui nous libère, quelque chose qui nous relie définitivement à ce Dieu si proche.

Dieu comme nous. Dieu avec nous. Dieu en tout.

Amen

© Cédric Némitz 2016